27 avril 2006

Michel Polac

... les mémoires de Déguignet transcendent tous les genres, même la littérature ...

(attribué à) Michel Polac

26 avril 2006

J’aurais vécu comme le pourceau, mangeant, promenant et dormant, exempt de toute inquiétude, d’embarras et de soucis...

Mon bonheur ici serait même relativement très grand si la providence, comme disent les chrétiens, m’avait rendu sourd comme je suis forcément muet. Car il m’est impossible d’avoir la moindre conversation avec les malheureux qui sont ici, et si j’étais sourd je n’aurais pas le désagrément d’entendre les sottises, les absurdités, les inepties, les grossièretés et les ignominies que ces pauvres ignorants débitent avec des voix glapissantes et assommantes du matin au soir et même dans la nuit. Ou encore, si cette même providence eût, comme l’a voulu le faire l’Esculape Koffec, anéanti en moi toutes les facultés intellectuelles et morales. Oh ! alors j’aurais encore été plus heureux. J’aurais vécu comme le pourceau, mangeant, promenant et dormant, exempt de toute inquiétude, d’embarras et de soucis. Il y en a beaucoup ici, du reste, qui vivent dans cet état. Ceux-là n’ont pas eu besoin d’appeler la providence pour leur ôter leur intellect et leur moralité, n’en ayant jamais eu, ne sachant même pas ce que c’est. Heureux gens ! C’est à ceux-là que le voleur de pourceaux de Génézareth s’adressait quand il disait à ses compagnons : « Beati pauperes spiritu quogniam regnum cielurorum ipsorum est. » Enfin, puisque ni mon médecin bourreau, ni cette fameuse providence ne peuvent m’ôter mes facultés intellectuelles et morales, je m’en servirai comme par le passé pour me distraire, pour me donner au moins un peu de plaisir intellectuel en place des plaisirs matériels qui me sont interdits ici. Ce criminel Koffec m’a demandé un jour si j’écrirais toujours. Certainement, répondis-je, que voulez-vous que je fasse ici autre chose. Il se doute bien que je dois écrire quelque chose concernant ses canailleries, avec autant de vérité, de franchise et de loyauté que j’ai écrit, sur tous les coquins auxquels j’ai eu affaire ou qui ont eu affaire à ma petite plume bretonne. Il a vu comment j’ai traité ces coquins puisqu’il a lu mes manuscrits qu’il a trouvés du reste, a-t-il affirmé, très intéressants, si intéressants qu’il a donné envie à son jeune collègue Jossuet de les lire aussi.

Histoire de ma vie, p. 741 sqq.

Un malheureux qui a un savoir...

Un malheureux qui a un savoir est doublement malheureux

JMD

25 avril 2006

Le rêve d'être Déguignet ou n'importe quel autre "paysan bas-breton"

[...] je ne me sens pas proche des autres pays celtiques (bien que bretonnant et Breton convaincu) : quand je rencontre des Irlandais ou des Ecossais, je ne me sens aucun rapport culturel avec ces gens-là. Ils sont charmants au demeurant, mais je veux dire que je ne sens absolument pas le "cousinage" que l'on nous impose.

Cependant, au niveau commercial, le mot "celtique" fait vendre (beaucoup) grâce à l'imagerie sous-jacente : le cycle arthurien, Brocéliande, la verte Erin, les Highlands, etc. Et si nous avons tous en nous le rêve d'enfant d'être Brian Boru ou Lancelot, aucun n'a jamais fait le rêve d'être Déguignet ou n'importe quel autre "paysan bas-breton".

aleks, sur le forum www.kervarker.org

24 avril 2006

Lettre au docteur Koffec

Voici encore une lettre que je viens d’adresser à un certain monsieur Josset, médecin, qui lit en ce moment mes manuscrits, lequel me demandait l’autre jour combien de pages je pourrais écrire par jour, en même temps qu’il me disait qu’il trouvait mon écriture difficile à lire.

Monsieur le Docteur,

Vous me demandiez, l’autre jour, combien de pages je pourrais écrire par jour. J’en écrirais bien cent si ma main pouvait suivre ma pensée. Vous trouvez que mon écriture est difficile à lire, c’est possible. Cependant, Le Braz Anatole ex-professeur au lycée de Quimper, poète, littérateur, celtisant, jésuite, hypocrite, traître, lâche et voleur, qui m’escroqua 24 manuscrits, trouvait que j’écrivais très lisiblement et dans un style très particulier et étonnant. L’avocat Le Bail et d’autres encore m’en ont dit autant. Il est vrai que les manuscrits que vous avez en ce moment ont presque tous été écrits en hiver dans un trou de 6 mètres cubes, alors que je grelottais de froid accroupi sur mon grabat de fougères. Je n’écris du reste que pour me raconter à moi-même l’histoire de ma longue vie, si pleine de péripéties, sans me préoccuper de ce que pourront devenir mes manuscrits. Monsieur Koffec doit avoir encore chez lui la Vie de Jésus et les Explications des mythes, cultes et religions qui sont mieux écrits, étant écrits en des temps plus favorables. Quand on écrit que des vérités, il n’est pas besoin de chercher longtemps. Je n’ai jamais mis les pieds dans aucune école, par conséquent je n’ai pas appris la rhétorique, c’est-à-dire l’art de parler longtemps sans rien dire, et d’écrire des pages et des volumes dans lesquels on ne trouve rien que des phrases toujours et encore des phrases. C’est dans ces galimatias de rhéteurs que nos députés perdent leur temps et leur raison, s’ils en ont, à ne rien faire, sinon à faire remplir les colonnes des journaux que personne ne lit. Quand il leur arrive au bout de plusieurs mois de chicane, de blague et de disputes de fabriquer une loi quelconque, ils s’aperçoivent le lendemain qu’ils ont fait une loi imbécile et blagueront encore pendant plusieurs mois pour remplacer cette loi imbécile par une idiote et scélérate. Il y a longtemps que l’on parle de fabriquer une langue universelle unique. Ce serait difficile de la faire adopter partout. Mais en France on pourrait bien en fabriquer une facile, claire, laconique, semblable à celle que Lacédémone, fils de Jupiter, fabriqua pour ses sujets ; une langue dans laquelle on ne pourrait plus mentir, ni parler sans rien dire, une langue épurée de toutes ces langues occultes et obscures, de la théologie, de métaphysique, de psychologie et autres koc’hkiologie inventées par les charlatans, les fripons et les tyrans pour aveugler et abrutir les gens, pour les tromper et les voler.

C’est par une de ces figures de rhétorique qui empoisonnent la langue française que le docteur a trouvé le moyen de me déclarer fou et a ainsi assassiné en moi toutes les facultés intellectuelles et morales, m’a mis hors la loi et hors l’humanité. Ah ! si j’avais été seul à porter mon nom, je me serais bien moqué d’être chassé de cette humanité dans laquelle je n’ai trouvé que trois ou quatre êtres humains, tous morts victimes de leur humanité. Mais cette horrible flétrissure dont le docteur m’accable rejaillira sur mes descendants jusqu’à la dixième génération, et c’est dans ceux-là que je souffre en ce moment plus qu’en moi-même. Et il y a des gens qui disent que la littérature, la poésie et la musique adoucissent les mœurs ! Le docteur Koffec dit aimer la littérature, la poésie et la musique, ce qui ne l’a pas empêché de perpétrer sur moi, brave et honnête citoyen, le plus horrible des crimes. Il est vrai que Néron aimait aussi la littérature, la poésie et la musique. Torquemada et Dominico envoyaient leurs victimes à la torture en chantant de belles poésies sacrées. Louis XIV aimait fort la littérature, la poésie et la musique et faisait massacrer des millions de Français pour plaire à madame de Maintenon. Drumont, Judet, Millevoye et autres confrères aiment aussi la littérature et demande à ce qu’on fasse des saucisses, des andouilles, des jambons et des boudins avec tous les juifs, les protestants, les francs-maçons et les libres-penseurs. Je sais bien que d’après le Code civil français, les parents seuls ont le droit de demander l’interdiction sur laquelle le tribunal peut seul se prononcer. Et l’accusé est admis à se défendre, et si le tribunal ne le reconnaît pas fou, c’est l’accusateur qui est condamné. Mais je sais bien aussi que dans ce Code civil il n’y a rien pour nous autres esclaves, serfs et parias, moins heureux en cela que les autres bêtes de somme, nos confrères, pour lesquels il y a plusieurs textes, tous en leur faveur. Nous ne sommes connus que par les lois militaires et le Code pénal. Votre vieille Thémis française est du reste, comme le farouche Jéhovah, dieu des juifs et des chrétiens : inutile de se présenter devant elle les mains vides. Mais je m’aperçois que je suis un peu prolixe, moi qui voudrais une langue claire et laconique. Mais ceci est la faute des grammairiens, des lexicographes et des rhéteurs qui nous fabriquent un jargon dans lequel il faut trente-six phrases de quarante lignes chacune comme en fait l’académicien Brunetière pour exprimer une seule pensée, et pour l’exprimer très mal encore. Vous êtes je crois un peu philosophe, Monsieur le docteur, alors vous comprenez l’horrible situation d’un brave et honnête citoyen mis hors la loi et hors l’humanité par le caprice de votre vieux collègue qui, après ce crime, vient encore se moquer de moi pour jouir sans doute de mes tourments à la façon des dieux, en me disant d’aller chercher du travail. Misérable tyran ! Commander à un vieillard de 68 ans, usé et meurtri par le travail, les persécutions et la misère d’aller chercher du travail, et cela dans une société d’où il m’a exclu ! Il sait bien cependant qu’il n’y a plus d’existence pour moi hors d’ici, à moins qu’il m’envoie aux aliénés puisqu’il m’a déclaré fou. Mais il craint peut-être que le médecin de cet établissement ne soit pas d’accord avec lui à mon sujet, car celui-là est un spécialiste en phrénologie. Et nous sommes en République démocratique sous laquelle un simple commis de la préfecture, un nommé Baron, a pu me priver depuis 15 ans de la moitié d’une modique pension gagnée à la sueur de mon front et en versant mon sang sur les champs de bataille ; et maintenant un médecin a pu, par caprice, me mettre hors la loi et hors l’humanité, me condamnant à mort avec dégradation civique.

Lettre adressée au médecin Josset, le 1er juillet 1902.

Histoire de ma vie, page 734